L'auteure partit d'un grand éclat de rire.
- Vous voyez, vous aussi, alors que vous êtes physiquement en face de moi et que vous savez qui je suis vraiment, vous me parlez d'Anna comme si elle existait vraiment. Ma réponse à votre question, c'est que les personnages que vous me citez sont effectivement différentes facettes de qui je suis - y compris Anna elle-même! Tous les auteurs de fiction créent des univers à eux, depuis l'écrivaillon du dimanche jusqu'à Tolkien. Ceux qui emploient un pseudo ajoutent une couche supplémentaire entre la réalité et la fiction, justement celle du personnage imaginaire qui est officiellement l'auteur du livre. Rappelez-vous Emile Ajar qui n'était autre que Romain Gary mais qui est devenu tellement célèbre en quelques semaines à cause du succès de "La vie devant soi" que les articles ont commencé à fleurir sur lui. Du coup, Gary a proposé à son neveu de jouer le rôle d'Ajar afin de recevoir le Goncourt et de répondre aux interviews! La mystification poussée jusqu'au bout, dans la droite ligne des surréalistes. Le pot aux roses ne sera révélé que 18 mois après le suicide de Gary, qui s'est même amusé à écrire "Vie et mort d'Emile Ajar". Quel coup superbe! Bon, je reviens donc à votre question. Anna représente tout mon côté sensuel débridé provocateur charmeur fêtard flamboyant etc. Et dans la vraie vie, j'ai cette palette-là de comportements même si je ne les exprime pas de la même manière que le fait Anna sur les différents forums où elle apparaît - vous remarquez que je parle d'elle à la troisième personne, d'ailleurs, c'est parce qu'elle n'est pas moi, je ne suis pas schizo.
Elle rit à nouveau. Raven était bouche bée. Celle qui n'était pas tout à fait Anna reprit:
- Vous êtes à croquer quand vous avez cette expression, vous savez? On dirait une petite fille devant une vitrine de Noël. Et votre peignoir s'est tout ouvert depuis tout à l'heure, quelle vision de rêve, c'est vraiment charmant.
Raven sursauta et se rendit compte que oui, le peignoir s'était carrément ouvert alors qu'elle s'était penchée en avant, captivée par les mots de... de... de l'autre, là, l'auteure-quel-que-soit-son-nom. Le feu lui monta aux joues une fois de plus et elle referma d'un geste maladroit les deux pans du peignoir en bredouillant des mots incompréhensibles. Entre le vibreur du portable contre sa cuisse et le regard ouvertement excité d'Anna, elle commençait à se sentir toute chose. Anna reprit cependant le fil de sa réponse. Décidément, elle maniait le contre-pied à merveille.
- Charlie est incontestablement mon côté masculin, autant qu'Anna est mon côté féminin. Il est à la fois rationnel, comme je le suis dans ma vraie vie de scientifique, et extrêmement sensible, romantique même. Cet aspect-là est beaucoup plus développé dans "Là où tu es", je vous ferai passer le manuscrit si vous voulez, comme je vous l'ai dit, il n'est pas encore diffusé.
- Waow! Oh oui! Merci! Ce serait vraiment très gentil!
- Attention, je vous préviens, c'est une histoire d'amour pur. A la dououreuse exception de la personne pour qui je l'ai écrite, toutes celles à qui je l'ai faite lire ont eu ensuite envie que je devienne leur amante. Toutes. Et certaines y sont parvenues. Quand je voulais bien aussi, je veux dire. D'ailleurs vous, je ne dirais pas non.
- Gloups.
- Pardon?
- Non rien euh hum ben je le lirais bien quand même pour le reste hein ha-ha euh on verra si je ou alors là vous non de faut que mais bon on verra quoi.
- Vous n'êtes pas très claire, parfois. Vous devez être vraiment très fatigu...
- Naaaaaaaan ça va, ça va et donc, vous disiez, Charlie, tout ça? Mmmh? Hein, dîtes? Ma question? Vous y répondez?
- Oui, Charlie... Charlie dans les Trois Perles est un paumé, qui suit son désir dans un désordre amoureux total. Et pourtant, il est touchant, attachant, enfin il me semble. Il est sincère, c'est ce qui fait la différence entre lui et un serial-dragueur. Il aime vraiment ces femmes dont il croise la route. Il est vraiment déchiré quand elles lui font mal. Il ne triche pas, il est juste un peu perdu parce qu'il a un immense besoin d'amour. Et ça, c'est tout moi. J'ai vécu une période comme ça dans ma vie, une vagabonde amoureuse. Ma devise, c'était: mieux vaut la brûlure à l'ennui. Il m'arrive toujours de le penser, même si parfois je me surprends à hésiter avant de me carboniser à nouveau. Récemment, j'ai préféré reculer. Un passage à vide ou un coup de vieux? Mmmh. Je suppose que je le saurai à la prochaine occasion. Vous ne trouvez pas qu'il fait chaud?
- Padutoufépachodutouçavamerci. Et les personnages féminins?
- Bizarre, vous transpirez pourtant. Ca met bien en valeur le grain de votre peau. Vous devez être sublîme quand vous êtes en train de faire l'am...
- Salomé, c'est vous aussi?
- Salomé, c'est particulier. Le chapitre "Salomé pleure" décrit des évènements réels - en dehors des détails liés à l'intrigue du roman et des modifications de ma part pour préserver son anonymat, bien sûr. La vraie "Salomé" m'a un jour raconté l'histoire de son aïeule, violée par le planteur de coton chez qui elle était esclave et dont "Salomé" descend. Cette anecdote tragique est à l'origine d'une partie importante du récit. Beaucoup de métis antillais et guadeloupéens partagent les mêmes origines dramatiques.
- Nora?
- Nora est le genre de femme que j'aimerais parfois être plus souvent: légère, pétillante, simple, directe. Quant au drame de son enfance, il est proche d'une situation que j'ai vraiment vécue. Ne m'en voulez pas de ne pas vous en dire plus aujourd'hui.
- J'ai gardé la plus extraordinaire pour la fin: Gabrielle.
- Ah, Gabrielle... Voilà un personnage que j'ai vraiment adoré créer et rendre vivante. J'ai une passion pour l'histoire de la sorcellerie, comme vous le savez. Et, dans ma vraie vie, j'ai une parente qui a exercé le métier de sorcière pendant plusieurs années dans le bocage normand, en tant que sociologue et psychanalyste mais quand même, quelle expérience d'immersion! Elle en a ramené deux livres époustouflants. Je me souviendrai toujours de la soirée à la maison où elle nous a raconté comment elle avait flippé le jour où le sorcier concurrent du village voisin, authentique sorcier lui, a jeté un sort sur son fils d'une dizaine d'années, qui est resté très malade pendant des jours sans qu'aucun médecin n'y comprenne rien. Mais je reviens à Gabrielle. Du point de vue de l'écriture, ça a été très curieux. Au début, je m'étais dite: elle va être d'une cruauté incroyable à cause de son passé et il faut qu'elle soit terrifiante. Il faut qu'on se dise, quand Charlie va la rejoindre, qu'il est en train de courir un danger mortel alors qu'il croit juste qu'il va passer une nuit sympa pour se changer les idées. Et terrifiante, elle l'est, bien sûr, mais pourtant, au fur et à mesure que je racontais son parcours, je m'attachais à elle, j'avais de la compréhension et même de la compassion pour cette jeune femme beaucoup plus victime que bourreau. Plusieurs lecteurs - surtout des lectrices - m'ont écrit pour me dire à quel point Gabrielle les avait touchés. C'est un très beau compliment pour un personnage aussi noir, j'en suis vraiment fière parce que ça veut dire que ce qui reste d'elle malgré tous ses excès, c'est son humanité. La première motivation que j'ai eue à vouloir écrire un troisième volet aux aventures de Charlie (intitulé "L'éternel amoureux errant"), ça a été de retrouver Gabrielle. Je me souviens qu'avant d'en entamer l'écriture, j'ai écrit un mail à une amie où je lui disais: Gabrielle me manque. Ce troisième épisode est complètement habité par elle, j'en ai presque fini l'écriture. Elle est différente de l'ado broyée et perverse qu'elle était dans les Trois Perles, elle a mûri, en particulier grâce à ce qui lui arrive à la fin des Trois Perles et que je ne vais pas révéler bien sûr - mais vous, vous voyez ce que je veux dire. Gabrielle m'habite en permanence, elle a évolué avec moi. Dans les Trois Perles, elle était une allégorie de mon côté sombre, dans ces moments où je suis écorchée vive à cause de mes sentiments. Depuis, j'ai rencontré une femme dont le coeur est exceptionnel et qui est devenue ma meilleure amie, celle pour qui je n'ai aucun secret, celle à qui je peux parler de tout, y compris de mon attirance pour d'autres personnes sans qu'elle ne manifeste la moindre jalousie. Elle ne me juge jamais, elle m'écoute toujours et quand je sombre, elle me sort la tête de l'eau avec simplicité et me montre comme la vie est belle. Cette générosité, cette luminosité, j'ai voulu la transmettre en quelque sorte à Gabrielle. Attention, je ne veux pas dire que dans "L'éternel amoureux errant", mon amie est représentée par Gabrielle, pas du tout. Gabrielle est Gabrielle. Mon amie, je lui ai par contre donné le premier rôle "par procuration" en racontant ce troisième épisode à la première personne, la narratrice étant, elle, directement inspirée des traits de caractère de mon amie. Elle aussi, elle adore Gabrielle, aussi bien celle qu'elle est dans les Trois Perles que celle qu'elle devient dans l'Eternel. J'ai lu quelque part qu'un auteur devait toujours aimer tous ses personnages, même les plus sombres, pour les rendre réalistes. Je crois que je n'en aime aucun plus que Gabrielle.
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Dernière édition par Anna Galore le 16/08/2006 03:24, édité 3 fois.
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